Photo : Jimi Hendrix par G. Mankowitz

Depuis plusieurs années, le TGI de Paris fait montre d’une hostilité remarquée quant à la protection par le droit d’auteur de photographies. En refusant, dans un jugement rendu le 21 mai 2015, de reconnaître cette protection à une photographie représentant Jimi Hendrix (reproduite ci-dessous), la présente décision s’inscrit dans la lignée de cette jurisprudence critiquée par la doctrine [1] et même qualifiée de contra legem [2].

En l’espèce, le photographe Mankowitz et la société BOWSTIR LIMITED, à laquelle il avait contractuellement cédé ses droits d’auteur sur la photographie litigieuse, ont assigné en contrefaçon la société EGOTRADE lui reprochant d’avoir utilisé et modifié ladite photographie sans autorisation pour promouvoir ses cigarettes électroniques.

A l’appui de leurs prétentions, les demandeurs explicitaient en ces termes l’originalité de la photographie :

« cette photographie aussi extraordinaire que rare de Jimi Hendrix réussit à capter, le temps d’un instant fugace, le saisissant contraste entre la légèreté du sourire de l’artiste et de la volute de fumée et la noirceur et la rigueur géométrique du reste de l’image, créées notamment par les lignes et les angles droits du buste et des bras. La capture de cet instant unique et sa mise en valeur par la lumière, les contrastes et par le cadrage étroit de la photographie sur le buste et la tête de Jimi Hendrix révèlent toute l’ambivalence et les contradictions de cette légende de la musique et font cette photographie une oeuvre fascinante et d’une grande beauté qui porte l’empreinte de la personnalité et du talent de son auteur ».

Le TGI de Paris conclut toutefois que la photographie litigieuse « ne présente pas d’originalité et ne constitue pas une oeuvre de l’esprit protégée par le droit d’auteur ». Pour s’en justifier, les juges développent une explication zélée consistant, en premier lieu, à dire que l’auteur s’est ici contenté de « mettre en exergue des caractéristiques esthétiques de la photographie qui sont distinctes de son originalité ».

Dit autrement, il est reproché au photographe d’avoir décrit le résultat de son travail et non les moyens employés volontairement pour y parvenir. Pourtant, la personnalité de l’auteur d’une photographie ressort d’avantage de l’impression d’ensemble, comme ici, en relevant le « contraste entre la légèreté du sourire de l’artiste et de la volute de fumée » que de l’énonciation de l’ensemble de choix techniques (éclairage papillon pour faire ressortir le visage, noir et blanc pour appuyer le contraste, choix de la focale pour le portrait, durée d’exposition pour figer la fumée,  placement de l’appareil photo en plongée pour accentuer la domination du personnage, etc.).

Quoiqu’il en soit, les juges laissent tout de même à penser que leur décision n’aurait pas été différente si ces choix avaient été explicités. En effet, ils ajoutent que « le cadrage, le noir et blanc, le décor clair destiné à mettre en valeur le sujet et l’éclairage étant pour leurs part banals pour une photographie de portrait en taille de face ».

La précision choque puisqu’en affirmant que de tels choix sont « banals pour une photographie de portrait », les juges confondent manifestement deux notions étrangères l’une à l’autre, à savoir la notion d’originalité, propre au droit d’auteur et la notion de nouveauté, propre à la propriété industrielle. Or, comme l’écrit Florence Gaullier, « l’originalité ne devrait pas en principe se déduire de l’absence « d’antériorités » mais uniquement de l’analyse objective de la photographie en question » [3].

En outre, la Cour de Cassation a récemment eu l’occasion de préciser qu’ « une combinaison d’éléments banals peut, en elle-même, présenter un caractère original, si une telle combinaison résulte d’un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de son auteur » (Cass. 1e Civ. 30 avril 2014, n°13-15.517), faisant ainsi observer une cohérence avec la jurisprudence européenne (InfopaqEva-Maria P). Rien n’interdit donc qu’une telle photographie soit originale.

De plus, le tribunal reproche aux demandeurs de ne pas expliquer « qui est l’auteur des choix relatifs à la pose du sujet, à son costume et à son attitude générale », de sorte qu’il est impossible de savoir si ceux-ci « sont le fruit d’une réflexion de l’auteur de la photographie ou de son sujet, si l’oeuvre porte l’empreinte de la personnalité [du photographe]. ou de Jimi Hendrix ». La nécessité pour le photographe de rapporter la preuve de tels éléments propres au déroulé de la séance photo apparait ici comme une condition nouvelle posée par les juges et dont la charge de la preuve se révèle impossible. Tout au plus, ces précisions témoignent, d’une part, de la défiance de certains magistrats à reconnaître aux photographes la protection qui leur est due au titre du droit d’auteur et, d’autre part, de leur incompréhension pratique du métier de photographe. En effet, il apparaît pourtant vraisemblable que le photographe, à l’occasion d’une telle séance en studio, a pu placer son sujet devant l’objectif et en dessous de l’éclairage qu’il a choisi, que le photographe et son modèle se sont livrés à plusieurs prises de vue, notamment pour « réussir à capter » ces volutes de fumée, ce sourire et ce regard du chanteur dirigé sur l’objectif, etc.

Enfin, sur le terrain procédural, on relèvera qu’en plus de la traditionnelle charge de la preuve incombant au demandeur, les magistrats ajoutent la nécessité de respecter le principe de la contradiction posé par l’article 16 du code de procédure civile. Ils en tirent dans la présente affaire la conséquence suivante : « en l’absence de précision sur l’origine de ces choix constitutifs des caractéristiques originales revendiquées, Monsieur G. M. ne met pas les défendeurs en mesure de débattre de l’originalité de la photographie litigieuse et le juge d’en apprécier la pertinence.» La précision peut étonner puisque jusqu’à présent, de nombreuses décisions reconnaissaient la possibilité pour les défendeurs, d’une simple phrase, de dénier toute originalité aux photographies litigieuses et de les considérer comme banals, de même que les juges se réservaient la possibilité de relever d’office l’absence d’originalité alors même que celle-ci n’était pas contestée (TGI Paris, 2 février 2010, Harlequin, RG n°08/01421). Serait-ce à dire que les défendeurs devront à leur tour justifier, photographie par photographie, de la banalité de celle-ci ?

Au delà de ce voeu pieux, la réalité pour les photographes et leurs clients – qui achètent des droits qui n’existent pas – est amère, cette jurisprudence n’étant que de nature à conforter que le vol de photographies est une activité peu réprimée…

* * *

TGI de Paris, 3ème chambre 1ère section : jugement rendu le 21 Mai 2015

Références :

[1] Gaullier Florence, « La preuve de l’originalité, une charge complexe », RLDI 2011/70

[2] Spitz Brad, “Défaut d’originalité d’un livre : une decision contra legem de plus”, RLDI 2013/96

[3] Gaullier Florence, ibid.

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Gaëtan Bourdais, Avocat

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