L'essentiel :
Dans un arrêt du 7 avril 2022, la CJUE est venue interpréter l’article 8 de la directive 2011/83/UE au sujet des obligations d’information pesant sur le professionnel lorsqu’un consommateur effectue une commande en ligne.
1. Les faits
La société Fuhrmann-2 est propriétaire d’un hôtel en Allemagne. Elle est inscrite sur la plateforme de réservation de chambre d’hôtels, www.booking.com.
En juillet 2018, un consommateur réserve sur cette plateforme un séjour dans l’hôtel de la société Fuhrmann-2. Il clique sur le bouton « Je réserve » situé sur une annonce de l’hôtelier, saisit ses données personnelles et celles des personnes l’accompagnant puis clique sur le bouton « Finaliser la réservation« .
Mais, le moment venu, le consommateur ne se présente pas.
L’hôtelier lui facture alors des frais d’annulation d’un montant de 2 240 €, conformément à ses conditions générales.
Le consommateur ne payant pas, l’hôtelier saisit la justice.
2. Le droit européen
Une question survient toutefois devant les juridictions allemandes : le bouton « finaliser la réservation » est-il conforme au droit européen ? Et comment interpréter le texte européen ?
L’article 8 paragraphe 2 de la directive 2011/83/UE prévoit :
« Le professionnel veille à ce que le consommateur, lorsqu’il passe sa commande, reconnaît explicitement que celle-ci implique une obligation de payer. Si, pour passer une commande, il faut activer un bouton ou une fonction similaire, le bouton ou la fonction similaire porte uniquement la mention facilement lisible « commande avec obligation de paiement » ou une formule analogue, dénuée d’ambiguïté, indiquant que passer la commande oblige à payer le professionnel. Si le professionnel ne respecte pas le présent alinéa, le consommateur n’est pas lié par le contrat ou par la commande. »
La juridiction allemande saisie la CJUE pour interpréter cet article.
3. L’arrêt de la CJUE
La CJUE apporte plusieurs précisions sur la façon d’interpréter la directive 2011/83/UE.
3.1. Le rappel du droit européen
D’abord, elle précise que le professionnel peut informer de plusieurs façons le consommateur qu’en commandant il devra payer :
- Le vendeur peut utiliser la mention prévue par la directive (« commande avec obligation de paiement »). Il a alors correctement informé le consommateur.
- Le vendeur peut aussi utiliser une mention prévue par la législation de son état membre ayant transposé la directive. En France, l’article L. 221-14 du Code de commerce ne fait référence qu’à celle de la directive.
- Le vendeur peut enfin se passer de ces mentions officielles et préférer une formule de son choix. Mais gare à lui ! La formule analogue ne devra pas être ambigu pour le consommateur.
3.2. La précision importante de la CJUE
Plus important, la CJUE précise que :
« seule la mention figurant sur ce bouton ou cette fonction similaire doit être prise en compte pour déterminer si le professionnel a satisfait à l’obligation qui lui incombe de veiller à ce que le consommateur, lorsqu’il passe sa commande, reconnaisse explicitement que celle-ci implique une obligation de paiement » (§28).
Le vendeur ne peut donc pas se baser sur les éléments du site web situés autour du bouton de commande pour démontrer sa conformité.
3.3. Réserver = payer ?
Il reste à se prononcer sur le fond de l’affaire : le bouton « finaliser la réservation » informait-il clairement le consommateur allemand de son obligation de payer ?
La CJUE indique qu’il appartiendra à la juridiction allemande de trancher cette question.
Et elle fournit quelques conseils aux juges nationaux :
« la juridiction de renvoi devra notamment vérifier si le terme « réservation » est, en langue allemande, tant dans le langage courant que dans l’esprit du consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, nécessairement et systématiquement associé à la naissance d’une obligation de paiement.
Dans la négative, force serait de constater le caractère ambigu de l’expression « finaliser la réservation », de sorte que cette expression ne pourrait pas être considérée comme étant une formule analogue à la mention « commande avec obligation de paiement », visée à l’article 8, paragraphe 2 ».
3.4. La sanction possible
Si la juridiction allemande venait à considérer que le terme « réservation » n’implique pas pour le consommateur l’idée d’un paiement, alors le bouton de commande serait jugé ambigu.
En pareil cas, la sanction est drastique pour le professionnel :
« Si le professionnel ne respecte pas [cette obligation], le consommateur n’est pas lié par le contrat ou par la commande »
4. Quels impacts pour les professionnels français ?
4.1. L’ambiguïté du terme « réservation » – option à éviter
L’analyse que fera les juges allemands ne vaudra que pour le sens du mot « réservation » en langue allemande. Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà.
Il faut s’intéresser au sens du mot « réservation » en langue française.
Le Larousse le définit comme l’ « action de retenir une place (dans un train, un avion, au théâtre, etc.), une table (au restaurant), une chambre (dans un hôtel). ».
Dans le Vocabulaire savant du juriste, la réservation peut faire référence au contrat de réservation qui se définit comme le « contrat en vertu duquel le réservant promet au réservataire, en général moyennant rémunération, le droit de lui assurer le bénéfice exclusif d’un droit (à une place dans un avion, un train, un théâtre, etc.) … » (Vocabulaire juridique, Cornu, PUF, 9ème édition).
La réservation n’implique donc pas systématiquement ni nécessairement un paiement.
Ainsi, un bouton de commande indiquant « finaliser la réservation » devrait être considéré comme non conforme car ambigu.
En présence d'un bouton d'achat ambigu, les consommateurs peuvent prétendre ne pas être lié au professionnel pour échapper à leur obligation de payer.
4.2. Bonnes pratiques
Les professionnels éditant eux-mêmes leur site de vente en ligne ont tout intérêt à jouer la carte de la prudence :
- en utilisant la mention préconisée par le législateur (« commande avec obligation de paiement« ) ;
- ou en adoptant une alternative plus business friendly mais dénuée d’ambiguité. Le recours au verbe « payer » semble incontournable.
Les professionnels utilisant une marketplace – comme celle de Booking.com – ne peuvent pas personnaliser l’interface que les consommateurs utilisent pour passer leur commande. Ils n’ont aucune marge de manœuvre et sont potentiellement dans une situation à risque comme celle de l’hôtelier allemand. C’est donc à l’éditeur de la marketplace de s’assurer que son service d’intermédiation en ligne permet aux vendeurs professionnels d’être conforme au droit de la consommation. Et les vendeurs sont en droit de l’exiger.
A retenir
La conformité légale de votre site e-commerce ne se limite pas à mettre en ligne vos CGV.
Le respect du droit de la consommation implique aussi d’adapter les interfaces de votre site de vente en ligne.
Le droit à aussi son mot à dire sur l’UI design ! Pensez à associer votre avocat à la conception ou l’évolution de votre boutique en ligne.
Crédits : Unsplash license – Pickawood https://unsplash.com/photos/gf8e6XvG_3E
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Gaëtan Bourdais, Avocat
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