En obligeant, dans sa décision remarquée « Allostreaming » du 28 décembre 2013, fournisseurs d’accès à internet et moteurs de recherche à bloquer ou déréférencer des sites de streaming, le TGI de Paris avait quasiment donné toute satisfaction aux ayants droit.

Toute satisfaction ? Non, car les juges de première instance, au grand dam des ayants droit, mettait le coût financier d’un tel blocage à leur charge. D’où l’appel formé par ces derniers.

L’arrêt de la cour d’appel du 15 mars 2016 suscite un intérêt tout aussi grand, en ce qu’il fait peser les frais des mesures de blocage et de déréférencement exclusivement sur les intermédiaires techniques.

On savait depuis les arrêts Scarlett et Netlog de la CJUE que les mesures de filtrage général étaient interdites et il se dégageait de la lecture de ces arrêts, qu’a contrario, un filtrage plus spécifique était autorisé. Reste que dans ces arrêts, la Cour visait notamment comme bête noire les injonctions de blocage faites aux intermédiaires « à leur frais exclusifs ».

On pouvait alors se demander si un tel critère était un obstacle dirimant au prononcé d’une mesure de filtrage ou si, pris en combinaison des autres critères dégagés par la CJUE, le prononcé d’une injonction judiciaire aux frais exclusifs des intermédiaires restait possible.

L’arrêt Telekabel de la CJUE était venu préciser qu’une injonction « n’apparaît pas porter atteinte à la substance même du droit à la liberté d’entreprise d’un fournisseur d’accès à Internet » (§51) lorsqu’elle « laisse à son destinataire le soin de déterminer les mesures concrètes à prendre pour atteindre le résultat visé de sorte que celui-ci peut choisir de mettre en place des mesures qui soient les mieux adaptées aux ressources et aux capacités dont il dispose et qui soient compatibles avec les autres obligations et défis auxquels il doit faire face dans l’exercice de son activité » (§52).

C’est précisément ce que vient rappeler la cour d’appel de Paris, avant d’ajouter

« qu’il ressort des principes généraux du droit français qu’une partie qui doit faire valoir ses droits en justice n’a pas à supporter les frais liés à son rétablissement dans ses droits »

Or selon les juges d’appel,

« l’équilibre économique des syndicats professionnels, déjà menacé par ces atteintes [aux droits d’auteur de leurs membres], ne peut qu’être aggravé par l’engagement de dépenses supplémentaires, qu’ils ne peuvent maîtriser, dans le blocage des sites contrefaisants et dans leur déréférencement des moteurs de recherche, tandis que les FAI et les fournisseurs de moteurs de recherche sont bien à l’origine de l’activité de mise à disposition de l’accès à ces sites ; qu’ils tirent économiquement profit de cet accès (notamment par la publicité s’affichant sur leurs pages) et qu’il est dès lors légitime et conforme au principe de proportionnalité qu’ils contribuent financièrement aux mesures de blocage ou de déréférencement en choisissant de mettre en place les mesures les plus appropriées comme l’indique le point 52 de l’arrêt UPC Telekabel Wien GmbH. »

La cour d’appel énonce ensuite que « ce n’est que dans l’hypothèse où une mesure particulière devait s’avérer disproportionnée eu égard à sa complexité, à son coût et à sa durée, au point de compromettre, à terme, la viabilité du modèle économique du FAI ou du fournisseur de moteur de recherche, qu’il conviendrait d’apprécier la nécessité d’en mettre le coût, en tout ou en partie, à la charge du titulaire des droits ».

En l’espèce, les juges d’appel considèrent que les intermédiaires techniques échouent à démontrer que le blocage ou le déréférencement leur imposeraient des « sacrifices insupportables ». Pour mémoire, l’injonction visait uniquement une quinzaine de sites (dpstream.tv , fifostream.tv , allostreaming.com , alloshowtv.com , allomovies.com , alloshare.com , allomegavideo.com , alloseven.com , allourls.com , fifostream.com , fifostream.net , fifostream.org , fifostreaming.com , fifostreaming.net , fifostreaming.org , fifostreaming.tv) à bloquer ou déréférencer.

A l’évidence, il apparaissait difficile pour les intermédiaires techniques en cause (Orange, SFR, Free, Bouygues, Numericable, Darty Telecom, Google, Yahoo, Microsoft) d’arguer qu’une telle injonction nécessitait l’implantation de « solutions techniques difficiles et complexes » alors que, vraisemblablement, ces solutions sont déjà implantées tant chez les fournisseurs d’accès que chez les moteurs de recherche.

La cour d’appel exclue ensuite toute indemnisation des intermédiaires techniques par l’Etat.

Elle rappelle que selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel (Décision 2000-441 DC), la prise en charge possible par l’État des coûts supportés par les intermédiaires techniques est seulement circonscrite à certaines injonctions demandées au juge par la puissance publique dans un but d’intérêt général ou dans les cas de sauvegarde de l’ordre public. Aussi, il ne saurait exister un principe général de juste rémunération du concours pouvant être apporté par des intermédiaires techniques, en toute situation.

Cet arrêt vient donc offrir une application pratique des principes dégagés par la CJUE et largement discutés. Cette jurisprudence favorable aux ayants droit fera sans doute fleurir un contentieux nourri sous l’article L. 336-2 du code de propriété intellectuelle.

Reste que le contrôle de proportionnalité qu’effectuent les juges pourrait dans certains contentieux se révéler plutôt favorable aux intermédiaires techniques.

Entre complexité des mesures (on pense notamment aux injonctions d’implantation de techniques d’empreintes des oeuvres à l’encontre des hébergeurs) et puissance technique/financière des acteurs (GAFA versus « petits » du web), il n’est pas certain que l’équilibre penche toujours du côté des ayants droit.

CA Paris, Pôle 5, chambre 1, 15 mars 2016, n°040/2016

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Gaëtan Bourdais, Avocat

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